Appétit, passion, chimie… On utilise toutes sortes de mots et de concepts pour illustrer la sexualité. On aime se l’imaginer comme étant magique, dirigée par une pulsion sauvage et innée. Or, le véritable carburant derrière la sexualité, c’est le désir. Qu’on l’appel libido ou désir sexuel, c’est lui le chef d’orchestre. Alors que le désir est souvent représenté de manière spontanée, son fonctionnement est en vérité bien plus complexe. Toutes sortes de facteurs entrent en jeu lorsqu’il est question de son éveille ou de son absence, tant du côté physiologique que psychologique. Partons à la découverte!

Petit cours de bio 101

Commençons par le commencement. Quand notre corps réagit à une stimulation sexuelle, on parle de réponse sexuelle. Ce phénomène se manifeste principalement à travers le corps : c’est tout le travail anatomique, comme le vagin qui se lubrifie et les lèvres de la vulve qui gonflent ou l’érection qui se forme et les testicules qui se rétractent. L’équation semble donc assez simple : un touché physique vient produire une réponse physique. Si c’est en partie vrai, le cerveau joue pourtant un rôle magistral dans ce contexte. Pour bien le comprendre, il faut s’imaginer un circuit qui relie les zones érogènes au cerveau : les deux camps s’influencent l’un et l’autre, et se répondent continuellement, un peu comme une danse. Disons par exemple que votre partenaire passe sa main sur votre vulve : aussitôt, les terminaisons nerveuses ressentent le doigté et envoient un signal au cerveau. Littéralement. Toujours selon cette même séquence, le cerveau décode ce signal et prend une décision : s’il trouve la sensation agréable, il envoie à son tour un signal vers les organes génitaux pour leur indiquer de poursuivre la réponse sexuelle. On assiste ici au travail brut de l’excitation sexuelle, sorte de boucle neurologique et physiologique. C’est comme cela, entre autres, que le désir commence à se faire sentir et à se manifester physiquement : la chaleur et le battement de coeur au niveau des organes génitaux et toutes les autres sensations qui s’amplifient. Tout au long de l’activité sexuelle, cette boucle sera alimentée. Le dialogue constant entre le cerveau et les zones érogènes est ce qui permet d’accentuer le désir et de produire une réponse adaptée à la situation ; plaisir, plaisir, plaisir.

C’est sans pour autant oublier que ce circuit fonctionne aussi en sens inverse. Après tout, le plus grand organe sexuel reste le cerveau, et tout l’imaginaire érotique qu’il contient. Le désir sexuel peut donc très bien commencer par un stimuli qui est plutôt psychologique : on pourrait apercevoir notre partenaire se déshabiller et soudainement ressentir un titillement dans la culotte. Dans ce scénario, c’est le cerveau qui fait la première lecture de la situation : il voit quelque chose qui le stimule, puis envoie un signal vers les organes génitaux pour enclencher l’excitation sexuelle. Quel navigateur, ce cerveau! Même si en apparence une activité sexuelle semble plutôt physique, c’est vraiment lui qui dicte et oriente notre désir. C’est bien pour cela, d’ailleurs, qu’on ne se retrouve pas submergé de sensations orgasmiques pendant un examen médical. Le cerveau est capable de court-circuiter le désir, parce qu’il évalue le contexte comme étant non-érotique et, disons-le, franchement inadéquat. Peut-être que le toucher prostatique suscitera une érection, tout comme l’insertion du spéculum peut générer une lubrification, mais ça ne signifie pas que nous ressentons un plaisir sexuel pour autant. Voyons le ainsi : la réponse sexuelle, c’est le résultat des nerfs qui réagissent aux stimulations. Le désir, lui, est dirigé par le cerveau et dépend de l’évaluation psychologique qu’il fait de la situation. Ces deux systèmes peuvent agir indépendamment, mais collaboreront ensemble lorsque le contexte est sexuel et volontaire. C’est dans l’union de ces deux systèmes que le plaisir naît. Un touché reste un touché, mais dès lors que le cerveau et le désir s’en mêlent, il se traduit en plaisir. Incroyable, n’est-ce pas? Force est de constater, avec tout cela, qu’il se déroule beaucoup plus de choses lors d’une interaction sexuelle que des jambes en l’air et des réactions génitales.

Désir rime avec état d’esprit

Si vous avez lu les précédents blogs, vous savez que le désir sexuel nécessite un contexte favorable pour s’épanouir. La sexualité, au-delà de la performance physique, c’est un état d’esprit : le désir s’exprime plus fortement dans les moments de notre vie où nous nous sentons alignés avec les petits et grands plaisirs, nos sens, la curiosité, la vitalité. Au lieu de regarder notre sexualité et de se demander comment faire pour avoir plus de désir (Essayer une nouvelle position? Acheter un nouveau jouet? Enfilez sa plus belle lingerie?), il faut se tourner vers notre état d’esprit et notre monde intérieur. Pensez-y : le sexe n’est pas un besoin. Contrairement au fait de manger et de boire, on peut survivre sans lui. Non, le sexe est une envie et c’est quand on le perçois de la sorte qu’il y a un véritable déclic. Une envie, ça se stimule selon notre bien-être, notre réceptivité, notre ouverture. On peut donc dire qu’une envie sexuelle dépendrait par exemple d’éléments comme la qualité de notre intimité et de notre estime de soi, la relation que nous entretenons avec notre corps, notre connexion à nos sens et une panoplie d’autres facteurs qui ont rapport à notre psychologie et notre monde émotif.

Mieux s’allumer : une histoire d’accélérateurs

Pour toute envie, certaines choses viendront ainsi la stimuler tandis que d’autres l’inhiberont. Si on s’entend pour dire que le désir est donc plus complexe qu’une pulsion magique qui agit d’elle-même, on pourrait alors parler d’accélérateurs et de freins. Les accélérateurs sont les éléments qui suscitent notre désir alors que les freins peuvent lui poser obstacle. L’excitation sexuelle et le désir repose sur ce système. Pour qu’il y ait désir, il faut que les accélérateurs soient activés et les freins, désactivés. D’un côté comme de l’autre, la liste peut être infinie. Les accélérateurs regroupent ce qui stimulent positivement l’esprit et les sens : un échange romantique, de la bonne musique, des odeurs agréables, des éléments de nouveauté sexuelle… Ça varie tout autant de l’autre côté, allant de freins plus banaux comme le stress au travail ou le désordre dans la maison, à une relation amoureuse difficile ou une image corporelle négative. L’avez-vous remarqué? Certains de ces exemples ne sont même pas directement liés à la sexualité et pourtant, ils peuvent éveiller ou réduire notre désir sexuel. Eh oui, parce que nous continuons d’exister en dehors de la sexualité et que ce que nous vivrons dans d’autres contexte viendra forcément se répercuter plus globalement sur notre humeur, nos sentiments… Notre état d’esprit, finalement.

Chaque personne au monde dispose de ses propres accélérateurs et freins uniques. Pour cette raison, seul.e vous êtes en mesure de véritablement identifier ce qui vous chauffe ou refroidit (mais vous pouvez bien sûr demander l’aide d’un.e sexologue pour naviguer ce processus). Parce que le bien-être sexuel demande toujours une bonne part d’introspection, je vous invite à réfléchir à la chose : quels éléments s’alignent à votre plaisir et quels éléments ont tendance à le gêner? D’en prendre conscience, c’est toujours le point de départ.

L’excitation sexuelle : un cycle?

En 2001, la sexologue chercheure Rosemary Basson propose un modèle pour expliquer le phénomène d’excitation et de réponse sexuelles. Ce modèle est révolutionnaire, parce qu’il se centre sur l’état émotionnel de l’individu au moment d’une activité sexuelle, en prenant en compte d’autres facteurs comme l’intimité et la satisfaction émotionnelle. Il stipule aussi que la réponse sexuelle n’est pas une progression linéaire. Alors que d’anciens modèles prétendent que la réponse sexuelle débute par le désir et qu’elle se termine par l’orgasme, le modèle de Rosemary Basson laisse plus de place à la diversité de réalités. Révélation : le point de départ de chaque individu peut différer, puisque la réponse sexuelle est en fait un cycle ponctué de différentes phases. Peut-être que pour certain.e.s, la réponse sexuelle sera initiée par le désir, tandis que pour d’autres ce sera d’abord le stimuli sexuel ou bien l’intimité émotionnelle qui viendront éveiller ce fameux désir. Vous le savez : en sexualité, il n’y a jamais de one-size fits all.

Ce modèle est important, parce que nombreuses sont les personnes qui commencent à ressentir un désir uniquement après le déclenchement de l’excitation sexuelle. Je m’explique : comme nous le voyions tout à l’heure, l’excitation est physiologique alors que le désir est psychologique. En ce sens, il est courant que bien des personnes commencent une activité sexuelle sans se sentir particulièrement emplis de désir (pour toutes sortes de raison liées à leur contexte), mais qu’au fil de la stimulation – avec les caresses agréables (le stimuli sexuel), l’échange de regards et de paroles (l’intimité), etc. – elles en viennent à se sentir pleines de désir ; à avoir envie de l’autre et de l’activité sexuelle en train de se produire. Notons qu’il n’y a rien de mal à ce que la l’expérience se déroule de la sorte et qu’on vive le désir de cette manière. Plusieurs statistiques révèlent même que ce phénomène est particulièrement prévalent chez les femmes et personnes dotées d’une vulve. La nuance, cependant, est qu’il faut tout de même quel’interaction sexuelle demeure consensuelle, que la personne veuille sincèrement entreprendre une activité sexuelle même si son désir se manifestera un peu plus tard dans son propre cycle. Ses motivations peuvent être diverses : même sans ressentir un désir sexuel de prime abord, elle peut être à la recherche de proximité, aimer se sentir désirée par l’autre, etc. Ce qu’il faut surtout retenir, c’est que le désir ne précède pas toujours l’excitation sexuelle : pour certain.e.s, le désir peut être d’abord réactif, puis se manifester par lui-même au fil de l’activité sexuelle.

Docteur.e, suis-je normal.e?

Cette question, on se la pose probablement toustes de temps à autre. Pas étonnant, alors que notre société prône le conformisme et craint l’atypie. Il peut être confrontant de ne pas se sentir « normal.e » ; c’est d’ailleurs bien plus vulnérabilisant lorsque ça touche à quelque chose d’aussi intime et privé que la sexualité. Ce que les expert.e.s en sexualité vous diront, c’est que les variations du désir sexuel sont amplement naturelles. Le désir mute en fonction des périodes de vie et même parfois d’une journée ou d’un moment à l’autre. Souvenez-vous : l’humeur, les stress divers, l’état de santé, etc. sont tous liés à notre état d’esprit et donc à notre degré de réceptivité au désir sexuel. Les écarts de désir sexuel dans un couple, c’est-à-dire lorsqu’un.e partenaire ressent plus de désir que l’autre, sont d’ailleurs l’un des motifs de consultation en sexologie les plus courants. Bien sûr! Puisque nous sommes toustes différent.e.s et que nos expériences de vie le sont aussi. Le désir, c’est quelque chose d’assez abstrait et intangible ; il peut être difficile à cerner, à agencer à l’autre et encore plus à « contrôler ». Bien que ce point de désaccord puisse être très difficile à vivre pour les couples, j’aimerais vous rappeler que personne n’est « brisé.e ». Ces écarts et ces variations, c’est l’autre côté de la médaille dont on entend moins parler. Ils sont tout aussi normaux et pourtant, on les laisse dans l’ombre.

Je vous parle de normalité, pour souligner le fait que vous n’êtes certainement pas seul.e.s à traverser ces variations. Cela dit, notre idée de la normalité devrait s’arrêter là. Ce concept a tendance à être plus nuisible qu’autre chose, surtout dans le contexte du désir et de la performance sexuelle, où les pressions viendront générer une anxiété peu favorable à l’érotisme et l’expression du désir. C’est comme si, plus on se pousse à essayer d’avoir envie, plus ça nous repousse ; comme si plus on se concentrait sur les « résultats » (l’orgasme à tout prix), moins ça arrivait. Si tu n’as pas envie de te baigner, par exemple, c’est pas en te jetant à l’eau que tu vas soudainement trouver ça amusant. C’est pas un nouveau maillot de bain, un road trip à la plage ou une baignade à trois qui va « arranger » les choses. Tu risques juste de trouver ça long et plate.

C’est la même chose avec la sexualité : se forcer soi-même à avoir envie c’est contre-intuitif, et ça ne fait que créer des attentes envers soi-même qui ne seront probablement

pas atteintes. Le désir se manifeste davantage lorsqu’on se libère des pressions et qu’on arrive à déconstruire certaines croyances, comme le fait qu’un couple « normal » devrait faire l’amour au moins trois fois par semaine. Changer notre perception sur la sexualité et le désir, faire preuve de douceur et de patience envers soi-même, ce sont vraiment les meilleurs remèdes à cette anxiété et ce cercle vicieux de déception, d’appréhension et de réticence. Non, le désir ne se force pas : il faut en finir avec cette idée que l’appétit vient en mangeant. Le désir se cultive et s’entretient selon les saisons de la vie et notre évolution. Certes, certaines choses peuvent le faciliter – comme nos charmants accélérateurs – mais les variations en font aussi partie et de les accepter, ça déculpabilise beaucoup.

Comme pour toute chose dans la vie, la sexualité est elle aussi fluide et changeante. Notre humanité et nos états sont complexes et enclins à la mouvance. Qui a décidé de ce que constituait la normalité? Tellement de personnes s’épanouissent pourtant en configurant leur sexualité de manière unique et propre à elleux. Que vos moments d’intimités soient réguliers ou occasionnels, que vos freins soient plus forts que vos accélérateurs ou que vous préfériez la proximité émotionnelle au sexe oral, votre désir ne sera que plus beau et authentique s’il est cohérent à votre personne, votre contexte et vos envies. Changer notre regard sur le désir sexuel, enfin, c’est se permettre de mieux l’accueillir. Cet été, prenez soin de vous et écoutez votre désir ; il en a beaucoup à dire.