Partout où il y a représentation de sexualité, on y voit la capacité du corps à traduire toutes sortes de sensations en plaisir. On y voit les récits des interactions humaines, dans toute leur beauté. Le cinéma et la littérature nous font rêver d’une sexualité passionnée et spontanée, les oeuvres d’art de partout dans le monde animent notre désir pour l’érotisme et la sensualité, et même les pornographies éveillent en nous des fantasmes d’interdits, d’exploration, de sensations fortes.

Au travers de tous ces clichés et classiques, on voit là le souhait profond d’une sexualité optimale : exceptionnelle, glamour, voire transcendante. Ce besoin, si légitime soit-il, soulève toutefois quelques pistes de réflexions. Comment ce fantasme d’une sexualité extraordinaire peut-il prendre forme concrète dans nos ébats? Quelle est la source de ce plaisir inégalé : des années de pratiques, un fort appétit sexuel, la confiance en soi? Comme toujours, en matière de sexualité, la réponse comporte nombreuses nuances et dimensions.

Au fil des années 2000, des chercheures en sexologie ainsi qu’en psychologie ont tenté de documenter ce phénomène. Pour se faire, elles se sont adressées à des milliers d’individus qui exprimaient vivre une sexualité épanouie. C’est ainsi qu’émerge le concept clinique de Great Sex, ou sexualité optimale, pour illustrer les principaux éléments d’une sexualité qu’on pourrait qualifiée d’« unique », « transformatrice ». Il y en a huit :

  1. Être incarné.e dans son corps, pleinement présent.e et immergé.e dans le moment
  2. Être connecté.e et synchronisé.e à l’autre, vivre une symbiose
  3. Avoir une intimité sexuelle et érotique profonde
  4. Développer une communication et une empathie accrues
  5. Être authentique, sincère et transparent.e
  6. Viser la transformation de soi, la guérison et la béatitude par la sexualité
  7. Être dans l’exploration, le ludisme et le plaisir
  8. Savoir être vulnérable et s’abandonner

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Si c’est inspirant aux premiers abords, priés de faire attention à la comparaison. Le concept de sexualité optimale n’existe pas comme une injonction à laquelle répondre à tout prix : toute autre forme de sexualité consensuelle, si rapprochée ou éloignée soit-elle de ces caractéristiques, a sa raison d’être et de se manifester de la sorte dans votre vie. La sexualité optimale n’est pas un appel à la conformité : d’autres façons de vivre et de ressentir sa sexualité peuvent plaire à certaines personnes et, dans la mesure où d’autres vivent des incertitudes dans leur sexualité présente, il importe de se rappeler que la sexualité est un projet en constante évolution. Elle est influencée tant par les interactions quotidiennes et le gré de vos humeurs, que par les saisons de la vie, les apprentissages, l’évolution du soi. La sexualité est l’incarnation même de ce qui se passe en nous, ce qui se joue dans notre dynamique relationnelle et les faits de notre environnement, notre contexte extérieur. Corps, coeur, esprit, passé, présent, futur. Nous y reviendrons.

En fait, la beauté du concept de Great Sex réside dans la leçon qu’il nous enseigne. Une leçon sur la complexité et la profondeur de la sexualité humaine, sur ce qu’elle est véritablement en dehors des normes, des attentes sociales, des représentations. Vous l’aurez peut-être remarqué : parmi ces huit composantes, aucune ne fait mention de performance physique, de durée, de fréquence, d’apparence corporelle. La sexualité optimale repose uniquement sur les caractéristiques intérieures, psychologiques, émotionnelles, spirituelles. Elle dépend d’habiletés interpersonnelles, comme la complicité, l’ouverture à l’autre et l’échange. Curieux, non? Parmi une société qui centre les discours sexuels sur l’importance des prouesses physiques et la nécessité d’avoir des relations sexuelles fréquemment, ces témoignages d’une sexualité optimale sont profondément révélateurs. Il semblerait que ce soit avant tout la qualité du moment qui compte, davantage que la capacité à chevaucher votre partenaire sans relâche ou produire l’érection la plus ferme de l’humanité.

Cette discussion sociale est importante, parce qu’on réduit trop souvent la sexualité au corps et aux compétences. On se demande quoi « faire » pour pimenter notre vie sexuelle et comment mieux « faire » pour amener notre partenaire à l’orgasme. Mais qu’en est-il de l’«être»? Le désir, l’excitation, c’est d’abord et avant tout un état d’esprit. La sexualité, ça commence dans la tête. Quand on songe par exemple à ces instants dans notre vie où nous étions particulièrement connecté.e.s à notre désir, on se rend compte que le contexte y était fort probablement pour quelque chose. Eh oui, parce que le plaisir naît d’un contexte fertile, propice : était-ce une période où l’on se sentait plus confortable dans notre intimité, particulièrement bien dans notre peau, plus immergé.e.s dans les plaisirs de la vie? Nos sentiments, nos besoins, nos perceptions, même lorsqu’ils ne sont pas directement liés à la sexualité, influencent nos contextes de vie et orientent à leur tour les manières dont nous ressentirons, interpréterons, vivrons notre sexualité. C’est une boucle, comme pour bien d’autres choses dans ce monde.

Certes, ressentir un plaisir physiologique est important, et il va même de soi que vous souhaitiez en explorer les facettes à l’aide d’astuces coquines, de jouets, de positions. Bien sûr qu’être immergé dans son enveloppe physique permet de colorer sa sexualité de toutes sortes de manières agréables. Cela étant dit, les nombreuses autres dimensions de la sexualité, si abstraites soient-elles, sont toutes aussi essentielles. Qui sait, peut-être que la clé de ce plaisir corporel tant recherché se trouve finalement parmi ces chemins plus abstraits, trop souvent écartés de la discussion.

Saviez-vous qu’on identifie six dimensions à la sexualité humaine? Rassemblées, celles-ci forment ce qu’on appelle la « globalité de la sexualité ». Il y a la dimension…

  1. Biologique : l’anatomie, la santé, le développement et fonctionnement du corps
  2. Cognitive : les idées et perceptions sur la sexualité, les connaissances et l’esprit critique
  3. Psychologique et affective : la satisfaction de soi, l’expression de ses désirs, le développement d’un imaginaire érotique et d’une intimité, les compétences relationnelles
  4. Morale et spirituelle : les valeurs, les croyances, les principes personnels
  5. Socioculturelle : les normes et croyances dictées par la société et les médias, les rôles sociaux que nous adoptons (parent, conjoint.e, etc.)
  6. Éthique et légale : le respect des lois et les responsabilités individuelles et collectives de promouvoir les droits sexuels, l’équité et la sécurité de toustes

La constatation est assez simple : à travers ces six dimensions, il y a grandement matière à explorer, travailler et cultiver. D’emprunter tous ces chemins, de s’ouvrir à ces aspects parfois plus cachés, c’est bâtir au coeur de notre sexualité une fondation complète, équilibrée, saine.

Le Great Sex devrait donc nous servir de rappel et, surtout, de moyen de s’offrir à soi-même un peu de douceur. Lorsqu’on sent l’anxiété de performance se pointer le bout du nez, qu’on s’impose une pression à suivre des normes sexuelles ou qu’on compare notre sexualité aux récits rocambolesques de l’Internet, le concept de Great Sex existe pour nous rappeler qu’il n’y a pas de one-size fits all et que nous faisons en fait face à un vaste éventail de possibilités. Que vous soyez monogame, polyamoureux.euse, adepte de BDSM, amateur.ice.s de sexe vanille et j’en passe, on voit bien que ces sexualités peuvent toutes êtres vécues de manière optimale, puisqu’il y est peu question des activités, mais bien de la richesse et de la profondeur de l’échange. Le plaisir, tel que décrit parmi les caractéristiques du Great Sex, se déploie à partir du monde intérieur et de l’intelligence émotionnelle : l’empathie, la transparence, la capacité à être pleinement présent.e et à accueillir la vulnérabilité ont sans doute plus de valeurs, enfin de compte, que nos techniques de sexe oral et les 1001 nouvelles positions sexuelles inventées à toutes les semaines.

Si vous ne vous reconnaissez pas parmi ces caractéristiques, cela ne signifie pas pour autant que votre sexualité n’est pas empreinte de plaisir et de libération. Ce n’est pas non plus une preuve irréfutable qu’elle est vouée à rester la même et à ne jamais atteindre ces sommets désirés. Vous le savez, la sexualité est d’abord et avant tout dynamique, c’est-à-dire changeante et malléable. Si la découverte du concept de Great Sex éveille en vous des préoccupations, je vous invite à vous interroger sur les enjeux sous-jacents à cette émotion. Posez-vous la question : une sexualité optimale, ça aurait l’air de quoi pour moi? Quels sont les éléments à mettre en place dans mon intérieur, mon extérieur et mes relations, de sorte à la matérialiser?

La sexualité, c’est une aventure et comme toute aventure, il y a une longue route à parcourir, parfois semée de petites embûches et de remises en question, mais ô combien garni d’apprentissages, de renouvellement, d’expression de soi et d’épanouissement.