– Je te l’avais dit que ton patron était un enfoiré! s’écrit Imogen la bouche pleine de chips au vinaigre. Un salaire pourri, presque pas de vacances en cinq ans, un directeur tyrannique… Pas moyen Cassie. Tu quittes ce boulot et tu bosses avec moi pour Chic&chicks. On pourrait te prendre comme vendeuse pour commencer?
– Pas question. Je n’ai aucun diplôme qui puisse me servir dans ta compagnie. Aucune possibilité d’évolution donc.

Imogen s’occupe des retouches photo. À l’époque où Cassie a rencontré Imogen, à une soirée, elle n’aurait jamais cru que cette fêtarde moulée dans une robe Topshop au décolleté plongeant pouvait se transformer en une vraie geek, collée à son ordinateur et à son paquet de chips dix heures durant, experte en raccourcis claviers et en langages de programmation.

– En tout cas, tu ne peux pas continuer comme ça chérie. Tu mérites mieux. Beaucoup mieux.

La voix d’Imogen est pleine d’inquiétude et de tendre amitié. Elle ressort de la cabine d’essayage affublée d’un haut rouge qui la colle près du corps. Encore un caprice du sort. Imogen a un corps de rêve, bien qu’elle ne se nourrisse que de junk food et de verres de vin rouge.

– Rien ne vaut une sortie entre nous. On va prendre soin de toi ma chérie: la totale. Après le massage, belle robe, manucure, ciné, verre de champagne et tout et tout. Et toi? Tu ne les essaies pas tes robes?

Imogen entraine la jeune femme dans la cabine. Cassie se déshabille et s’observe dans la glace.

– Pas mal! s’écrie Imogen avec un air d’admiration exagéré. Pas mal du tout. Jolies petites fesses bien galbées, d’adorables seins en pomme, belle taille… Tu l’avais oublié, n’est­-ce pas? Dommage de ne pas faire l’amour plus souvent avec un corps pareil. Tu ferais des heureux.

Imogen donne une petite tape amicale sur le derrière de son amie. Oui, elle avait oublié. Cassie a minci ces derniers temps. Elle a deux jolis petits creux en bas du dos qui n’existaient pas avant ­ et effectivement une belle taille de sablier. Les heures supplémentaires, sans doute. Ça a au moins ça de bon. Elle enroule ses longs cheveux roux et elle les épingle rapidement avec un crayon trouvé au fond de la poche de son jean. Elle enfile sa robe orange, son collier de perles vertes et ses talons dorés. Oui. Vraiment pas mal. Elle ne porte que des vêtements noirs ou gris lorsqu’elle travaille. Métier oblige. Ce orange lui va à ravir.

Les deux jeunes femmes sortent de la boutique de Soho. Imogen propose d’aller à la pâtisserie française Bertaux, puis à Yumcha, un salon de thé qu’elle aime dans Berwick street («On commence par le thé, on continue avec le champ», dit Imogen avec un clin d’œil). Il est 3 PM. Il n’y a pas encore trop de monde dans les rues. Les deux jeunes femmes se plantent devant la vitrine de la pâtisserie avec des cris d’admiration. Mais une voix fait tressaillir Cassie.

– Cassandra? Vous n’êtes pas au lit?

Cassie connaît cette voix. La jeune femme reste ridiculement penchée vers ses pâtisseries, le derrière en l’air, incapable de lever les yeux vers l’homme qui lui parle. L’homme, bien sûr, c’est Louis, le directeur de L. International. Imogen ré­anime son amie d’un coup de coude.

– Louis…, murmure Cassie d’une voix d’outre-­tombe.

Elle s’arrête finalement, car elle ne sait pas quoi dire. Rien de ce qu’elle dirait, pense t­-elle, ne pourrait la sauver. Louis la dévisage. De manière surprenante, il n’a pas l’air en colère de voir son employée éclatante de santé dans sa robe orange.

– Ms. Lloyd, je suis ravi de vous voir en meilleure santé. Vous êtes ravissante dans cette robe orange.

Et le regard du directeur est réellement admiratif. Il scanne la jeune femme de la tête au pied.
– Les couleurs vous vont très bien. Vous portez si souvent du gris ou du noir.
– Merci.

La voix de Cassie est lamentable.
– On pourrait parler en privé demain? Je voudrais vous dire quelque chose. Je vous rappellerai demain. OK?

Cassie n’a pas le courage de répondre. Louis prend congé d’un signe de tête, non sans avoir adressé à Imogen un de ses sourires éclatants.

Imogen ne dit rien. Qu’a t­-elle pensé de cette rencontre fortuite, elle qui avait si mal parlé de Louis , qu’elle n’avait du reste jamais vu? Cassie est sûre d’avoir vu un petit éclair dans les yeux de son amie. Un éclair qui veut dire: attention beau gosse. Ah, voilà. Quand même. Même Imogen se fait avoir. Quelque part, c’est rassurant.

– Ma chérie, je suis désolée, mais je crois que j’ai besoin d’être seule ce soir. Je… voudrais vraiment réfléchir à… tout ça. Pourquoi est-ce que vous ne passez pas une soirée entre amoureux avec Alessandro? Je suis sûre qu’il en serait ravi.

Imogen regarde son amie avec inquiétude.

– Tu es sûre? On n’est pas obligées de faire ça que toutes les deux. Alessandro a une soirée avec ses collègues de l’ICA. Tu ne veux pas qu’on y aille?

– Je voudrais vraiment être seule. Je me sens fatiguée.
– Comme tu veux ma chérie. Mais je crois que tu devrais te sortir ce Louis de la tête. Tu en séduirait dix des comme ça, tu sais?
– Oui, oui…

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