Si vous avez lu notre précédent blog « Masturbation, intimité et révolution », vous savez que le mois de Mai représente le mois national de la masturbation. Aujourd’hui, dans le même esprit de célébration, on continue de décortiquer le phénomène en abordant la question de la masturbation sous l’angle des pornographies. Souvent matière à débat, force est de constater l’importance qu’a pris cette forme de stimulation sexuelle dans les dernières décennies. Qu’on soit intrigué.e.s ou sceptiques, la question mérite d’être posée : qu’est-ce que cela signifie donc pour nos sexualités?
Pluralité, subjectivité et bénéfices
Depuis les premières publications de Playboy à l’avènement d’Internet, l’humanité étend sa curiosité et son répertoire sexuel avec créativité et engouement. Mais quel est l’intérêt réel des pornographies? D’abord, on doit parler de celles-ci au pluriel, puisqu’elles constituent un média complètement hétéroclite et qu’avec chaque genre disponible, le vécu peut différer. Êtes-vous du genre Gonzo, c’est-à-dire une porno qui se veut plus hardcore et axée sur la théâtralité? Ou êtes-vous plutôt fasciné.e.s par la porno féministe, qui tend à accentuer le plaisir féminin et dépeindre des expériences sexuelles plus près de la réalité? On pourrait croire qu’il y a ici une bonne ou mauvaise réponse, mais les besoins sous-jacents reviennent au même : les pornographies sont appréciées pour la variété de stimulis sexuels qu’elles permettent, là où le visuel et l’auditif se mêlent et s’amplifient pour faire carburer l’excitation et l’imaginaire. Qu’on en visionne régulièrement ou à l’occasion, les pornographies favorisent toutes sortes de procédés mentaux et érotiques : certaines personnes se projettent dans le scénario, d’autres l’utilisent comme opportunité d’explorer des fétiches ou même leur orientation sexuelle, tandis qu’il y a celle et ceux qui les considèrent simplement comme un divertissement accessible et efficace. Bien qu’on tende à craindre l’influence des pornographies sur nos sexualités, à priori, aucune de ces motivations sexuelles ne sont nocives. Avec ou sans pornographies, on a tous et toutes recours d’une manière ou d’une autre à ces formes d’exercices : on s’excite et on se procure du plaisir par les fantasmes, par la mémoire, par les expériences de dating et de sexting, les accessoires érotiques, etc. Le fait de soutenir la masturbation par les pornographies, et les genres qu’on choisit de consommer, ne servent donc pas à catégoriser le bien du mal, mais constituent plutôt une fenêtre sur les significations subjectives qu’on attribuent à notre sexualité. Quelles dynamiques nous excitent : la romance ou la domination? Sommes nous stimulé.e.s par la part de voyeurisme qu’elles comprennent, le sentiment d’interdit? Qu’est-ce qui nous chauffe : un peu de tout, un peu de rien ou un élément bien précis? Il y a là matière à creuser! D’où l’importance de différencier les pornographies, et de traiter la question comme étant multidimensionnelle.
Histoire, débats et conclusions scientifiques
Êtes-vous surpris.e d’entendre que celles-ci peuvent comporter des bénéfices? On ne vous en blâme pas, puisque depuis l’émergence des pornographies, nombreux sont les discours médiatiques et les instances socio-politiques qui s’acharnent à les condamner, les éliminer et « protéger » le public. Mais que nous dit la science, véritablement? De nombreux.euses chercheur.e.s issues de différentes écoles de pensées ont ressassé la question au moyen d’études élaborées et rigoureuses. Alors que le courant anti-pornographie souhaitait démontrer les conséquences de ce qu’ils interprétait comme une normalisation du sexisme, le courant pro-sexe vantait le libre choix et la nécessité d’avoir accès à une exploration et expression sexuelle. Enfin, le courant des Porn Studies s’est donné pour but d’étudier et de rapporter ce phénomène le plus objectivement possible…
Décennies après décennies, une conclusion majeure revient parmi les études : on ne voit pas de lien direct entre les effets négatifs soupçonnés chez les pornographies et l’évolution de la sexualité des individus qui en consomment. Pourquoi? Parce que dans une culture qui met déjà de l’avant toutes sortes de représentations sexuelles et sexuées, pensez par exemple aux médias, à l’art et aux stéréotypes de genre, comment savoir où s’arrêtent les influences culturelles et où commencent lesdits effets des pornographies sur nos sexualités? En vérité, notre sexualité est déjà façonnée par la réalité socioculturelle, bien avant la toute première visite sur un site pornographique : dès l’enfance, on observe toutes sortes de croyances, d’attitudes et de comportements qui orienteront nos propres postures sur les corps, les genres et la sexualité. La plupart des études abondent donc dans le même sens : ce sont les conceptions qu’on entretient déjà sur la sexualité qui viendront déterminer si nous adhérons fortement ou moindrement aux représentations dépeintes parmi les pornographies. Bien que l’équation entre pornographies et mauvaises influences peut pourtant sembler évidente, rien n’est jamais si simple. Il ne s’agit donc pas de rejeter les pornographies en bloc ou de les considérer foncièrement néfastes pour la sexualité : plutôt, comme tout autre média, il importe surtout de les consommer avec réflexion, pensée critique et savoirs.
Réflexions, empowerment et épanouissement
Ainsi, pour les adultes, les pornographies peuvent véritablement êtres riches, surtout si l’on s’en sert afin de cultiver notre curiosité envers nous-même et notre propre psychologie sexuelle : qu’est-ce qui m’amène à visionner ces contenus? Qu’est-ce que cela contribue à ma personne? D’où proviennent mes désirs et qui les a créés? Est-ce que j’ai tendance à vouloir reproduire ce que je vois et à m’imposer ces standards? Pourquoi y ai-je recours chaque fois que je me masturbe ou plutôt, seulement un samedi par mois? Les réponses vous surprendront peut-être, mais de se permettre d’observer ses pratiques et ses désirs sexuels, prendre conscience de leurs significations et les reconnaître, c’est s’approprier sa sexualité et l’actualiser. Ficeler notre sexualité d’introspection et de conscience, ça nous met sur la voie d’un plus grand développement d’autonomie, d’intégrité et d’affirmation sexuelles. Certes, alors que la pornographie plus commerciale tend à uniquement placer l’accent sur les performances physiques rocambolesques (c’est un show, après tout), n’oublions pas qu’il y a tout un lot de compétences et d’habiletés psychologiques et interpersonnelles toutes aussi utiles et essentielles à la sexualité : on appelle cela de l’intelligence sexuelle et ce sont précisément ces compétences qui forment nos plus grands alliés dans la navigation de notre sexualité. On peut ainsi à la fois s’amuser à visionner du sexe anal, des massages érotiques et des gang bangs, tout en se servant de ces expériences pour appronfondire et honorer notre intelligence sexuelle. L’Histoire le démontre trop bien : parce qu’on a longtemps tût l’éducation à la sexualité, on pense encore parfois le sexe comme étant quelque chose de purement physique. On se préoccupe du « comment faire », alors que le véritable épanouissement sexuel se trouve dans un équilibre entre le physique et l’investissement des dimensions abstraites, psychoaffectives. Lorsque nos pratiques et nos fantasmes s’accompagnent de réflexions et de connaissances, c’est là que nous sommes à même de déterminer ce qu’il y a de mieux pour nous, ce qui nous correspond authentiquement en matière de sexualité. En bout de ligne, ce média qu’on accuse parfois avant même d’avoir décortiqué la part qu’il occupe dans notre érotisme, n’est qu’en fait un outil parmi tant d’autres pour mieux se comprendre. Nous pourrions même aller jusqu’à dire qu’explorer différents genres pornographiques peut contribuer à se décloisonner d’une perspective rigide sur ce que c’est, la sexualité…
Sexualité positive et nuances
Nuançons cependant : rien ne vous oblige à avoir recours aux pornographies ou même à les défendre. Si le but, justement, c’est de travailler la réflexion et la prise de conscience dans sa sexualité, conclure qu’il s’agit d’un média qui nous déplaît est parfaitement légitime. Il existe d’ailleurs une tonne de raisons pertinentes pour lesquelles refuser d’impliquer les pornographies dans notre sexualité : on peut trouver les contenus peu attrayant ou ressentir un malaise à leur égard, ne pas vouloir soutenir une industrie qui vaut des milliards, souhaiter exercer notre imaginaire érotique de manière autonome, voire préférer une sexualité déconnectée de la technologie. Alors que la sexualité positive est de plus en plus revendiquée et qu’on cherche à se libérer des tabous qui ont longtemps pesé sur l’expression sexuelle, un piège demeure : celui de croire que tout le monde devrait jouir des mêmes éléments. La libération sexuelle, c’est important. Or, on est parfois tellement prêt.e.s à s’affranchir de la censure qu’on en vient à marginaliser ceux et celles dont les choix peuvent sembler déroger de la norme du 21e siècle. On est pas plus cool et notre sexualité n’est certainement pas « meilleure » en fonction de ce qu’on visionne, fait ou ne fait pas. Ce qui est beau de la sexualité, en toute sincérité, c’est qu’elle est indubitablement unique pour chaque personne et qu’elle se vit en fonction d’une diversité de besoins, de motivations, d’expériences et de valeurs qui évoluent tout au long de la vie. La sexualité positive, c’est d’aussi comprendre qu’il s’agit d’un continuum dont toutes les facettes peuvent être saines, si elles se déploient hors de la honte, jusqu’au libre choix et vers le plaisir authentique. Quand on se penche sur la question des pornographies et qu’on démantèle les craintes à leur égard, ou la tendance à les imposer comme nouvelle norme, on réalise que notre société est encore enracinée dans les injonctions d’une sexualité « normale » et uniforme pour tous et toutes. Que vous célébrez ou rejetez les pornographies, demandez-vous quelles valeurs motivent cette opinion : êtes-vous préoccupé.e.s par le fait de vous conformer aux mœurs ou agissez-vous selon votre propre éthique sexuelle?
Curiosité et ré-appropriation de son plaisir
Devant les nouvelles réalités technologiques et ce qu’elles impliquent pour nos sexualités, la réponse tant cherchée réside peut-être depuis le tout début dans le fait d’apprendre à s’écouter honnêtement et moduler sa sexualité en fonction de la richesse de son monde intérieur. Le fait est que notre plaisir nous appartient : il n’a pas à dépendre de différents stimulants sexuels. Plutôt, c’est nous qui possédons l’autodétermination d’incorporer ces éléments à l’intérieur du spectre de notre expression sexuelle, au gré de nos humeurs et besoins. Parce que la masturbation est un moment intime avec soi-même, idéal pour explorer et prioriser son plaisir mental et physique, les pornographies peuvent constituer un moyen tangible de bonifier et d’étendre les vastes dimensions de notre sexualité, un peu comme ajouter une corde à son arc, finalement. À l’instar des pornographies, les sexualités sont elles aussi plurielles : il existe autant de façon de faire que de gens sur cette terre. Alors amusez-vous, si vous le désirez pleinement, à explorer d’autres genres, à varier ce que vous faites en les consommant, à analyser avec douceur et non-jugement ce que ça suscite en vous. Prenez soin de cette curiosité et délectez vous des endroits où elle vous mènera!
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