– Imogen a fait ça pour t’aider Daniel. Ne plus vouloir la faire rentrer, c’est aller un peu loin.
– Elle n’avait qu’à pas se mêler de mes affaires.
– Elle pensait que Kelen profitait de toi. Et elle le faisait sans doute un peu tu sais…
– Et alors ? Ça ne me dérangeait pas moi. J’allais à des vernissages, il y avait du monde chez moi…
– Tu ne supportes pas le bruit Daniel. Même Kelen a dit que tu passais la moitié des soirées enfermé dans ta chambre.
– Je m’y habituais petit à petit, dit Daniel d’un ton ferme. Ma vie change. Kelen m’a montré que je pouvais faire un tas de choses avec ce que les gens appelaient des « manies » : je donne des cours d’informatique dans le quartier, j’organise des tours guidés…
– Ah…, approuve Alessandro en se rappelant d’une visite de Greenwich faite avec Imogen et Daniel, qui avait alors parlé pendant des heures de chaque pierre du village.
Daniel n’est pas expressif habituellement. Mais Alessandro a appris à le connaître un petit peu. La fixité du regard derrière les lunettes + derrière l’écran d’ordinateur trahit l’émotion du jeune informaticien.
– Je vois que ta vie change, dit Alessandro en haussant les sourcils. Tu sais, je suis presque un peu jaloux. Je vois la BMW, les cocktails sur le bar, la déco design… Mais comment peux-tu te payer tout ça ?
Les yeux de l’informaticien luisent.
– Je me suis lancé ! Grâce à Kelen, j’ai fait de mes « manies » un talent caché !
– Que veux-tu dire ?
Daniel sourit d’un air entendu. Puis il tourne son écran d’ordinateur en faisant signe au jeune italien de s’approcher.
– Je connais ce site, dit Alessandro. Sex conversation exchange !
– Je suis devenu un important créateur de sites de sex chat !
Daniel a l’air très fier. Alessandro l’observe la bouche ouverte.
– Tu as créé… « ça » ?
– Et d’autres encore. Je suis le professionnel du safe sex pour ceux qui ne veulent pas se mouiller. J’ai conçu « Pipe show », un role play érotique en ligne avec des collègues français, « Sex conversation exchange » pour ceux qui veulent apprendre en se masturbant, « Doll-E » les poupés virtuelles, « Spare the rod and spoil the child » (ou « SRSC ») pour les amateurs de Sade, « Luxe, calme et volupté » pour les intellos coincés qui doivent citer du Keats ou du Byron pour un vrai get off… J’en ai vendu plusieurs.
– Mais pourquoi ?
– Eh bien, parce que je n’aime pas qu’on me touche. Parce que ces sites-là m’ont sauvé la mise en bien des occasions.
Alessandro secoue toujours la tête, incrédule.
– Je ne sais pas si je suis admiratif ou terrorisé, ou si ne j’y crois tout simplement pas.
– Cela n’a rien d’extraordinaire. Il y a des bonnes idées toutes les minutes partout. Seulement personne ne les réalise – ou personne ne les montre. Les gens n’ont plus de temps de faire de vraies rencontres. Le stress les rend tous fous, la société les rend parano et méfiants. Le virtuel est salvateur pour tous les malades comme moi. Tout est permis sans blesser personne et sans être jugé.
– Wow… Tu as vraiment peaufiné ton petit discours Dan’. C’est incroyable. Tu as vraiment gagné de l’argent avec ces sites porno. Moi qui galère pour vendre mes œuvres pour 100 malheureux pounds…
– J’ai décidé que ce que j’étais n’avait pas à être une malédiction. C’est une question de confiance. Tu devrais essayer un de ces jours.
– Et… C’est Kelen qui t’a dit ça ?
– Elle ne me l’a pas dit. Elle me l’a fait comprendre.
Alessandro prend son souffle.
– Dan’, tu réalises que tu es amoureux de cette fille ?
Daniel lève un sourcil, étonné.
– Que veux-tu dire ?
– Tu te laisses inspirer par elle, tu la laisses changer ta vie là où on te croyait inchangeable, tu ne parles que d’elle : tu es amoureux d’elle !
– No way.…
– Elle te manque ?
Daniel ne répond rien.
– Elle n’est vraiment pas mal, songe Alessandro. Si on aime le style : fine, élancée, un visage qui a du caractère, un air de vigueur… Franchement, je te comprendrais si…
– Elle a déjà plusieurs amants je crois.
– Il y a bien des façons d’aimer quelqu’un Dan’. Tout ne passe pas par le sexe.
Daniel regarde le jeune italien comme s’il avait tout à coup parlé chinois. Alessandro pousse un long soupir et abandonne l’idée d’expliquer à l’informaticien les subtilités de l’amour.
– Je ferai ce que je peux pour la retrouver dit Alessandro.
– Comment tu le pourrais ?
– J’ai ma petite idée.
Alessandro fait un clin d’œil et fait mine de taper sur l’épaule de Daniel. Daniel fait un geste de défense.
– Merci… mate. C’est sympa de ta part.
– Tu as un message à passer à Imogen ?
L’œil de Daniel devient froid. Il se lève, sort un ordinateur portable d’une commode et dit :
– Voilà son ordinateur réparé.
Il se rassoit et recommencer à faire clic-clic sur le claver de son ordinateur.
– « Polyamoureux », dit Imogen perplexe ?
– Un polyamoureux. confirme Cassie en hochant la tête l’air désabusé.
– Ce qui veut dire qu’il couche avec plusieurs femmes à la fois ?
– Ça veut dire qu’il PEUT aimer plusieurs personnes à la fois.
– Mais… Pour coucher tous ensemble ? s’écrie Imogen dégoûtée.
– Gosh non ! Non, il a juste une relation amoureuse, une vraie relation amoureuse, avec une ou plusieurs personnes selon la situation. Et il ne couche qu’avec sa petite amie au moment où… ils couchent ensemble. Ce… Ce n’est pas sexuel. C’est sentimental.
– Mouais…. Et qu’elle est la situation actuelle ? demande Imogen grimaçante.
Cassie fait une pause pour reprendre son souffle.
– Il aime… Un homme avec lequel sort depuis quatre mois.
Cassie laisse échapper un gloussement nerveux. Imogen lève les yeux au ciel.
– Toi, tu n’as pas raté ton homme !
Elle prend Cassie dans ses bras.
– Quel salopard. Je l’ai vu venir avec sa manie de t’aguicher sans cesse sans jamais rien te demander directement.
– Il a attendu qu’on… Qu’il me… avant de me dire…
– Oh !
Imogen secoue la tête.
– Tu lui a dit le « f » word j’espère ?
– Je lui ai dit que je ne pouvais pas faire ça.
– Et ?
– Il m’a fait l’amour comme aucun homme ne l’a jamais fait : avec de la tendresse, de la souplesse, de l’attention, de l’agilité… Il était… Comme une femme. Sauf que c’était un homme. On aurait dit qu’il savait détecter le plus microscopique signe de plaisir de ma part et s’y ajuster.
– Cassie, tu réalises que ce type se fiche de toi ?
– Il a dit qu’il m’aimait.
– Ça fait trois semaines que vous sortez ensemble…
Cassie fait la moue, vexée.
– On se connaît depuis longtemps. Il dit qu’il veut que je parle à une de ses ex. Pour voir qu’il est un type sérieux.
– Sérieux ? Tu réalises que la moindre femme – ou homme – un peu sympa risque de te faire concurrence ?
– Imogen, je ne te savais pas si conservatrice.
Imogen détourne le regard.
– Désolée de sonner moralisatrice ma chérie. Je suis juste inquiète pour toi. Partager, ce n’est pas mon fort.
– Le mien non plus ! Mais je pensais tellement qu’il y avait du potentiel entre Louis et moi…
– Tu n’as pas peur d’être blessée ?
– Je le suis déjà.
– Cassie chérie. Laisse tomber. Tu mérites mieux que ça.
– Ce n’est une histoire de « mérite », tu le sais. dit Cassandra. Je… Je voudrais essayer de me lancer sans peur pour une fois.
Cassandra rougit et détourne le regard.
– J’ai rencontré un homme qui m’a mise face à mes faiblesses. Je me suis rendue compte de ce que l’on gagnait à donner un peu de soi. Je ne veux plus de Cassie sissy.
– Tu vas devenir une « polyamoureuse » ? demande Imogen ironique.
– Non. Je vais accepter de discuter de ça avec son ex. Je veux en entendre plus.
– Tu penses que tu vas te laisser convaincre ?
– Non. Mais au moins j’en ressortirai plus cultivée.
Imogen rit. Cassie lui sourit et lui fait une bise.
– Et que devient Alessandro ? Toujours pauvre ?
– Pauvre. Et à présent entiché de la Bretagne…
– La Bretagne ?
– La coloc’ de Daniel.
– Ah ces hommes…
– Au fait Cassie, où est mon vibro ?
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