Moi et John, on a fini par caler la bouteille à deux sur le bras non averti d’Alex. Nous étions donc saouls et la conversation que nous tentions de tenir était plutôt chambranlante. Surtout qu’au seuil de notre dernier shooter, j’ai remarqué du coin de l’oeil que Nathan s’approchait des horribles tourtereaux afin de réquisitionner Alex pour l’entrainer de toute urgence sur le plancher d’en bas. J’ai su plus tard qu’il s’agissait d’une ronde classique de policiers à laquelle, forcément, le gérant se devait d’assister. Ragaillardie par le tsunami de Jack Daniels sur lequel je surfais, j’ai ouvert d’un coup le porte western de mon comptoir pour aller m’échouer près de Melody qui m’a regardé tanguer vers elle d’un œil interrogateur. Plus j’avançais et plus je me disais que je ne savais pas du tout quoi dire. J’ai jeté un regard vers John qui me leva son verre plein de sarcasme; curieux du spectacle que je m’apprêtais à offrir. Je me suis affalée près d’elle en récitant :
« Hautaine, dédaigneuse, tandis que hurle le poste de radio couvrant le silence du moteur, elle fixe l’horizon et l’esprit ailleurs, semble tout ignorer des trottoirs que j’accoste.[1]»
Elle a levé le sourcil.
– Tu connais Gainsbourg?
– Ah c’est vrai. T’es anglaise. Ça va comme tu veux? T’attends Alex ou tu t’en vas? Viens boire un verre avec moi au bar. T’as pas le choix, Hiroshima ça vient jamais sans un take 2 à Nagazaki.
Je me noyais dans mes mots mais par chance, elle a sourit. J’lui ai donc montré mes belles dents blanches et droites de fille qui s’est tapé des broches pendant 3 ans et je lui ai tendu la main. Elle l’a prise et j’ai commencé à me dire que je devrais aller m’acheter un billet de loto. Sa paume était douce et ma poigne s’est voulu ferme, mais je ne sais pas si elle l’était vraiment.
En traversant le dancefloor pour retourner vers mon comptoir avec la main de Melody dans la mienne je ne touchais plus terre. Mon excitation m’emportait loin de toute logique. J’ai réintégré mon poste un peu malgré moi afin de préparer son drink, avant de déboucher une autre bouteille de bourbon. Fuck les verres. J’y allais à même le goulot ce soir, sans classe ni compromis. Elle me regardait boire et gueuler des idioties à John d’un air mi-amusé mi-perplexe, positionnant probablement sa perception de moi quelque part en périphérie de l’idée que j’étais complètement cinglée quoiqu’amusante. Et moi je faisais mon show, de plus en plus dé-inhibé et encouragée par une lueur qui émergeait de ses deux grands trous noirs et luisants. Je ne voulais plus reculer. Je lui ai demandé si elle voulait me rejoindre derrière le bar pour le show. Le comptoir de bois entre nous m’apparaissant comme pure souffrance.
– What show?
J’ai souris en lui tenant ouverte la porte battante comme un chauffeur de limousine. Elle est entrée d’un pas chic et rare en coinçant ses prunelles aux miennes, interrogative.
J’ai sorti la vodka, le galliano, le citron et le sucre, j’ai disposé le tout et, mon verre ballon rempli de 94% dans une main, je me suis tournée vers John en criant « Oh Melody fait moi faire je t’en supplie, des conneries!» Et j’ai foutu le feu au bar.
Son visage rond s’est mis à flamboyer de rire et j’ai tout laisser brûler pour la saisir à la taille et danser avec elle un slow rapide sur les trois notes de contrebasse qui ne jouait que dans ma tête par dessus la musique techno du DJ. Elle suivait admirablement mon rythme impossible en riant. Alors que je tournais sur moi-même en la serrant un peu plus fort, j’ai glissé sur un citron qui traînait et nous nous sommes retrouvées les deux le cul sur le sol sale et collant de derrière le bar; elle dessus, moi sans dessus-dessous, la jupe retroussée et les jambes molles. Alors qu’elle s’agenouillait pour reprendre pied, ses yeux me tombèrent sur la chatte et elle figea. Au point où j’en était, il était hors de question que je me la joue pudique. J’ai souris en fermant les yeux et j’ai passé un doigt dans ma fente. Tout glissait là-bas et malgré les incalculables consommations d’alcool j’étais à fleur de peau. J’ai porté ce doigt à ma bouche en la fixant avant de dire :
« As sweet as an Atomic bomb»
Elle me fixait, sidérée, et je n’arrivais pas à déduire s’il s’agissait ou non d’une bonne chose; mais je tentais de garder mon calme. Je lui ai tendu ma main pour qu’elle m’aide à me relever. Elle me saisit et me mit debout, ce qui fit couler hors de moi une bonne dose de stress et de fluides corporels. Lorsque je suis arrivée à sa hauteur ou presque ( Elle était plus grande que moi) je lui ai dis d’une voix douce qui contrastait avec le reste de mon numéro de clown : « Kiss me Melody»
Je suis certaine d’avoir vu le rouge de ses lèvres trembler et s’avancer vers les miennes. Je suis certaine de ne pas avoir rêvé son haleine flotter jusqu’à mon visage qui attendait. Je suis certaine que j’y serais parvenu si ce connard d’Alex n’étais pas arrivé en malade en m’engueulant comme une vraie plaie :
– Criss Sarah, combien de fois j’tai dit de pas foutre le feu au bar?! On a pas d’assurances pour ça criss! Un jour tu va faire cramer la place au complet hostie pi c’est pas moi qui va assumer ça certain.
Melody a fait un pas vers l’arrière sans qu’on se quitte des yeux et j’ai répondu, en essayant de faire abstraction de mes envies de meurtres :
– Would be totally worth it.
Alex m’a checké croche avant de dire à la belle amazone :
– Bon Melody, le taxi que tu m’avais demandé de caller est arrivé. J’t’accompagne dehors si tu veux.
Alors qu’elle quittait le bar d’un air amusé après m’avoir chuchoté à l’oreille
– See you around, Atomic bomb.
J’ai gueulé par dessus la musique que j’étais ici tous les soirs du jeudi au dimanche.
[1] Melody, l’histoire de Melody Nelson, Serge Gainsbourg.
©Sarah G. Vous pouvez lire tous les textes publiés sur ce site, sous réserve d’en faire un usage exclusivement personnel ou selon le droit habituel de citation.
Laisser un commentaire